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entièrement désertes. Le sourd roulement des voitures, qui est le bruit de la vie et comme le murmure de ces courants d’hommes, avait cessé. On n’entendait que le bruit des portes et des fenêtres que les habitants refermaient précipitamment sur eux, comme à l’approche d’un ennemi public. Des bandes d’hommes armés de piques, des patrouilles de fédérés, des détachements de Marseillais et de Brestois sillonnaient, à pas lents, les différents quartiers. Santerre, à la tête d’un état-major composé de quarante-huit aides de camp fournis par les sections, visitait à cheval les postes. Les barrières étaient fermées et gardées par les Marseillais. En dehors des barrières les sections formaient une seconde enceinte de sentinelles.

Toute communication était interceptée entre la campagne et Paris ; la ville tout entière au secret était comme un prisonnier dont on tient les membres pendant qu’on le fouille et qu’on l’enchaîne. L’eau du fleuve était aussi captive que le sol. Des flottilles de bateaux remplis d’hommes armés naviguaient sans cesse au milieu de la Seine, interceptant toute communication entre les deux rives. Les parapets des quais, les arches des ponts, les toits des bateaux de bains ou de blanchissage sur la rivière, étaient hérissés de factionnaires. De temps en temps un coup de fusil, parti d’un de ces points élevés, atteignait des fugitifs cherchant asile jusque dans l’embouchure des égouts. Plusieurs ouvriers des ports furent ainsi tués en sortant de leurs bateaux ou en voulant y rentrer. L’heure une fois sonnée, tout pas dans la ville était un crime. Des escouades de piques arrêtaient tous ceux qu’un hasard, une imprudence, une nécessité de la vie avaient attardés. Pendant que les rues étaient ainsi évacuées, l’intérieur des maisons était dans l’attente et dans