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roi ; l’abbé Lhomond, grammairien célèbre ; quelques pauvres prêtres des écoles chrétiennes qui avaient donné leurs soins à l’éducation de Danton, lui durent la vie. Marat, sur l’ordre du ministre, fit élargir ces prisonniers. Il en mit lui-même un certain nombre à l’abri du coup qu’on allait frapper. Le cœur de l’homme n’est jamais aussi inflexible que son esprit. L’amitié de Manuel sauva Beaumarchais, l’auteur de la comédie de Figaro, ce prologue d’une révolution commencée par le rire et finissant par la hache. Manuel alla lui-même à la prison des Carmes placer une sentinelle à la porte des quatre anciens religieux de cette maison, à qui l’on avait accordé d’y finir leurs jours. Ces vieillards survécurent seuls. Ils n’étaient point connus de Manuel ; mais leur sang était jugé inutile, il fut épargné.

L’abbé Bérardier, principal du collége Louis-le-Grand, sous lequel Robespierre et Camille Desmoulins avaient étudié, reçut un sauf-conduit, d’une main inconnue, le jour du massacre. Ces préparatifs, ces avertissements, ces exceptions, prouvent une préméditation. Camille, dans la confidence de toutes les palpitations de la pensée de Danton, ne pouvait ignorer le plan d’égorgement organisé. Il était impossible aussi que Santerre, commandant en chef des gardes nationales, et dont l’inaction était nécessaire pendant trois jours à la perpétration de tant de meurtres, n’eût pas une insinuation de Danton. Santerre instruit, Pétion ne pouvait pas tout ignorer : le commandant de la force civique relevait du maire de Paris. Les demi-mots, les confidences équivoques, les signes d’intelligence entre des conjurés qui siégent, qui délibèrent, qui agissent presque à découvert en face les uns des autres, dans un conseil de cent quatre-vingts membres, ne pouvaient échapper à Pétion.