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telligence avec eux, leur eût révélé la crainte ou l’espérance cachée dans le cœur de tous. Le roi, à la fin de la journée, remontait un instant dans la chambre de sa femme, lui prenait la main en la regardant tendrement, et lui disait adieu. Il embrassait ensuite sa sœur et sa fille, et redescendait s’enfermer dans la tour à côté de sa chambre, où il lisait, méditait et priait jusqu’à minuit.

Le ciel seul avait le secret de ces heures nocturnes consacrées par ce prince à ce recueillement dans la solitude de son propre cœur. Peut-être réfléchissait-il aux actes de son règne, aux fautes de sa politique, à ses alternatives de confiance excessive dans son peuple ou de défiance malhabile contre la Révolution. Peut-être cherchait-il à conjecturer le sort de la France et l’avenir de sa race après la crise du moment, à laquelle il se flattait peu de survivre lui-même. Peut-être se repentait-il de ses luttes inégales pour et contre la liberté, et se reprochait-il de n’avoir pas fait héroïquement son choix, dès le premier jour, entre l’ancien et le nouveau régime, et de ne s’être pas déclaré le chef du peuple nouveau. Car ce prince, au fond, avait péché plutôt faute de comprendre que faute d’aimer la Révolution. Peut-être se réservait-il ces heures secrètes pour épancher librement, devant les murs seuls, ces larmes sur sa femme, sur son fils, sur sa sœur, sur sa fille et sur lui-même, qu’il dérobait le jour à leur sensibilité et à la joie de ses surveillants. Quand il sortait de ce cabinet pour se coucher, son visage était serein, quelquefois souriant ; mais son front plissé, ses yeux contusionnés, la trace de ses doigts imprimée sur ses joues, annonçaient à son valet de chambre qu’il avait appuyé sa tête entre ses mains, et que des pensées graves s’étaient entretenues dans son esprit.