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XXII

L’enfant, précoce comme les fruits d’un arbre blessé, semblait devancer de l’intelligence et de l’âme les enseignements de la pensée et les délicatesses du sentiment. Sa mémoire retenait tout, sa sensibilité lui faisait tout comprendre. Les, secousses que tant d’événements sinistres avaient données à son imagination et à son cœur, ces larmes constamment surprises dans les yeux de sa mère et de sa sœur plus âgée que lui, ces scènes tragiques dont il avait été témoin dans les bras de sa gouvernante, ces fuites de Versailles et des Tuileries, cette exposition de trois jours, au milieu des armes, des menaces, des cadavres, dans la tribune de l’Assemblée législative ; cette prison, ces geôliers, ces dégradations de son père, cette reclusion de tous les instants avec les êtres dont il voyait les peines sans les comprendre toutes, cette obligation de surveiller ses gestes, ses larmes mêmes devant des ennemis qui les épiaient, l’avaient initié comme par instinct à la situation de ses parents et à la sienne. Ses jeux mêmes étaient graves, ses sourires tristes. Il saisissait avec rapidité les moments d’inattention des geôliers pour échanger à voix basse quelques signes, quelques mots d’intelligence avec sa mère ou avec sa tante. Il était le complice adroit de toutes ces ruses pieuses que les victimes inventent pour échapper à l’œil et aux dénonciations de leurs surveillants. Il tremblait d’aggraver leurs