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Ces deux prisons pour une seule famille accroissaient les difficultés de surveillance et les ombrages des geôliers ; mais elles accroissaient aussi les facilités pour les serviteurs du roi de tromper les consignes de la prison. Cléry était parvenu à nouer quelques relations furtives avec le dehors. Trois employés des cuisines du roi aux Tuileries, nommés Turgy, Marchand et Chrétien, qui, en affectant le patriotisme, avaient réussi à se faire admettre dans les cuisines du Temple pour y rendre à leurs anciens maîtres tous les bons offices de la captivité, secondaient Cléry. Cléry, en se familiarisant avec les municipaux de garde et en leur rendant tous les petits services de la domesticité pendant les nuits qu’ils passaient au Temple, découvrait quelquefois parmi eux des signes d’intérêt pour la famille royale. Il faisait, tantôt par leur entremise, tantôt par celle de sa femme, admise une fois par semaine à le voir au guichet, passer des billets de Madame Élisabeth et de la reine aux personnes que ces princesses lui désignaient. Elles avaient soustrait un crayon aux recherches des commissaires. Des feuilles blanches déchirées des pages de leurs livres de prières recevaient ces rares confidences de leurs cœurs. Ce n’étaient que quelques mots innocents de tout complot, destinés à donner à leurs amis d’autrefois des nouvelles de leur situation et à s’informer du sort des personnes qu’elles avaient aimées.

Madame Élisabeth, malgré sa beauté, n’avait jamais permis à son cœur d’autres sentiments que l’amitié. Mais l’amitié dans son âme était une passion : elle avait l’inquiétude et la chaleur de l’amour. L’objet de sa plus tendre affection était la marquise de Raigecourt (mademoiselle de Causans), une de ses dames d’honneur dans le temps de sa