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de Bordeaux. Mariée à un homme opulent, elle habitait le quartier de la Chaussée-d’Antin, non loin de la maison où Mirabeau était mort après avoir tenté, comme les Girondins, de modérer et de constituer la Révolution. Mais le métal en fusion ne prend sa forme qu’en se refroidissant. La Révolution bouillonnait encore. Ces hommes semblaient ignorer qu’il lui restait trop d’efforts à faire au dehors pour que la surexcitation de ses forces ne prolongeât pas ses convulsions. Dans ces réunions, Condorcet était sentencieux ; Vergniaud, éloquent, de cette éloquence sereine et philosophique qui plane de haut sur les orages, comme si la parole pouvait les calmer en les jugeant ; Fonfrède et Ducos, bouillants, téméraires, gracieux, comme l’inexpérience et la jeunesse ; Sieyès, profond, concis, lumineux, nourri de la moelle des historiens antiques, lançant du fond de sa taciturnité habituelle des éclairs de prévision qui illuminaient l’avenir. « Homme d’intuition souveraine, quand Sieyès parlait, nous disait la femme qui présidait à ces entretiens, il me semblait qu’une intelligence supérieure se levait dans mon âme et me faisait comprendre ce qui me paraissait incompréhensible avant qu’il eût parlé. » Les Girondins écoutaient Sieyès avec respect ; le prestige de l’Assemblée constituante et de l’amitié de Mirabeau l’enveloppait à leurs yeux. Il leur conseillait les plus viriles entreprises. Inflexible comme un principe, il ne tenait aucun compte des difficultés du jour, des obstacles et des périls que susciteraient ses plans. Abstrait comme un oracle, il promulguait ses axiomes et dédaignait de les discuter. Épurer les comités législatif et exécutif de la Convention, expulser les démagogues, écraser Robespierre, séduire ou abattre Danton, réprimer la commune, concentrer vingt