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léger repas. Pendant qu’on le préparait, Marat s’approcha, prit la main de la jeune fille, qui n’osait lever les yeux. Enfin elle tomba à ses pieds en fondant en larmes. « Je vous fais peur, lui dit Marat d’une voix émue, je vous fais horreur, et vous consentez à vous livrer à moi ? — J’accepte tout ce qui sauvera mon père, balbutia la victime. — Eh bien, relevez-vous, lui dit Marat en la rassurant. Ce sacrifice me suffit. J’ai voulu voir jusqu’où irait la vertu filiale ! Je serais un lâche si j’abusais de tant de dévouement. Je ne veux pas souiller ce que j’admire. Demain votre père vous sera rendu… » Il reprit le bras de la jeune fille et la reconduisit jusqu’à la porte de sa maison.

Étranges éclairs dans un tel homme : ils attestent la liberté de l’âme la plus engagée dans le crime et lui maintiennent la responsabilité des actes insensés qu’ils semblent contredire.


XXIX

L’extérieur de Marat révélait son âme. Petit, maigre, osseux, son corps paraissait incendié par un foyer intérieur. Des taches de bile et de sang marquaient sa peau. Ses yeux, quoique proéminents et pleins d’insolence, paraissaient souffrir de l’éblouissement du grand jour. Sa bouche, largement fendue, comme pour lancer l’injure, avait le pli habituel du dédain. Il connaissait la mauvaise opinion qu’on avait de lui et semblait la braver. Il portait la