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vante de Marat, elle avait accepté toutes les servitudes pour souffrir ou pour mourir avec lui. Marat ne communiquait avec la vie extérieure que par cette femme et par le prote d’imprimerie de son journal. Privé de sommeil et d’air, ne renouvelant jamais son âme par l’entretien avec ses semblables, travaillant dix-huit heures par jour, ses pensées, allumées par la tension d’esprit et par la solitude, étaient devenues une véritable obsession. On eût dit dans les temps antiques qu’il était possédé de l’esprit d’extermination. Sa logique violente et atroce aboutissait toujours au meurtre. Tous ses principes demandaient du sang. Sa société ne pouvait se fonder que sur des cadavres et sur les ruines de tout ce qui existait. Il poursuivait son idéal à travers le carnage, et pour lui le seul crime était de s’arrêter devant un crime.

Cependant son cœur n’était pas toujours assez endurci pour ne pas fléchir sous sa théorie. Il avait des éclairs de vertu et des surprises d’attendrissement. Deux traits, longtemps inconnus à l’histoire, attestent que l’homme se retrouvait quelquefois en lui sous l’insensé. Pendant les massacres des prisons, qu’il avait inspirés et dirigés, un des sauveurs de Cazotte, après avoir reconduit le père et la fille à leur demeure, vint avec crainte raconter à Marat cette faiblesse. Marat pleura en écoutant ce récit : « Tu as bien fait, dit-il à l’assassin étonné. Le père méritait la vie à cause d’une telle fille ! Mais quant à ces Suisses que vous avez épargnés, vous avez eu tort ; il fallait les immoler jusqu’au dernier. » Le ressentiment contre sa première patrie, où il avait subi la misère et l’obscurité, ne pouvait s’éteindre que dans le sang de ses compatriotes.