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cosmopolite dont les enfants vont chercher fortune par le monde, il avait quitté de bonne heure et pour jamais ses montagnes. Il avait erré jusqu’à l’âge de quarante ans en Angleterre, en Écosse, en France. Poussé et repoussé par cette vague inquiétude qui est le premier génie des ambitieux, instituteur, savant, médecin, philosophe, politique, il avait remué toutes les idées, toutes les professions où l’on peut trouver la fortune ou la gloire. Il n’y avait trouvé que l’indigence et le bruit. Voltaire n’avait pas dédaigné de persifler sa philosophie. Le célèbre professeur Charles avait pulvérisé sa physique. Marat irrité avait répondu par l’injure à la critique. Il avait eu un duel avec Charles. La législation criminelle avait appelé plus tard ses réflexions. Cet apôtre du meurtre en masse avait conclu à l’abolition de la peine de mort. Sans talent dans l’expression de ses idées, sans convenance dans ses rapports avec les hommes, la société ne s’était pas ouverte pour lui. Son orgueil blessé et blessant fermait les cœurs que sa situation et ses travaux auraient intéressés. Poursuivi par le besoin, il avait été quelque temps réduit à vendre lui-même, dans les rues de Paris, un spécifique de sa composition. Ces habitudes de charlatan avaient trivialisé son langage, débraillé son costume, avili ses mœurs ; il avait appris à connaître, à flatter, à émouvoir la populace.

Cependant sa fibre aigrie et souffrante lui avait fait plaindre ce peuple souffrant et méprisé comme lui. Il avait contracté avec les masses la parenté de la misère et de l’oppression. En se vengeant lui-même il avait juré de les venger. Il voulait retourner la société comme on retourne une terre avec la charrue, mettant à l’ombre ce qui est au soleil et au soleil ce qui est à l’ombre. Il ne rêvait pas une