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création soudaine de cent bataillons de volontaires, à la tête desquels on avait placé les officiers restés en France comme officiers instructeurs ; ces bataillons et ces régiments sans esprit de corps, se regardant avec jalousie ou avec mépris ; deux esprits dans la même armée, l’esprit de discipline dans les vieux cadres, l’esprit d’insubordination dans les nouveaux bataillons ; les officiers anciens suspects à leurs soldats, les soldats redoutés de leurs officiers ; la cavalerie, mal montée et mal équipée ; l’infanterie, instruite et solide dans les régiments, novice et faible dans les bataillons ; la solde arriérée et payée en assignats dépréciés ; les armes insuffisantes ; les uniformes divers, usés, déchirés, souvent en lambeaux ; beaucoup de soldats manquant de chaussures, et remplaçant les semelles de leurs souliers par des poignées de foin liées autour des jambes avec des cordes ; ces corps arrivant de différentes armées et de provinces diverses, inconnus les uns aux autres, sachant à peine le nom des généraux sous lesquels on les avait embrigadés ; ces généraux ou jeunes ou téméraires, passés sans transition de l’obéissance au commandement, ou vieux et routiniers, ne pouvant plier leurs habitudes méthodiques aux hardiesses de guerres désespérées ; enfin, à la tête de cette armée incohérente, un général en chef de cinquante-trois ans, nouveau dans la guerre, dont tout le monde avait le droit de douter, en défiance à ses troupes, en rivalité avec son principal lieutenant, en lutte avec son propre gouvernement ; dont le plan audacieux et patient n’était compris par personne, et qui n’avait encore ni un service dans son passé, ni le nom d’une victoire sur son épée pour se faire pardonner le commandement : voilà les Français à Valmy. Mais l’enthousiasme de la patrie et