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cours officiels. Les mots de justice et d’humanité ne résonnent pas dans le cœur de brutes ivres d’eau-de-vie et de sang. En vain le ministre de l’intérieur, Roland, gémissant de son impuissance, écrivit-il à Santerre de déployer la force pour protéger la sûreté des prisons ; Santerre ne parut que le troisième jour pour demander au conseil général de la commune l’autorisation de réprimer les scélérats devenus dangereux à ceux-là mêmes qui les avaient lâchés sur leurs ennemis. Les tueurs venaient insolemment sommer la municipalité de leur payer leurs meurtres. Tallien et ses collègues n’osèrent leur refuser le prix de ces journées de travail, et portèrent sur les registres de la commune de Paris ces salaires à peine déguisés sous des titres et sous des prétextes transparents. Santerre et ses détachements, arrivés après coup, eurent peine à refouler dans leurs repaires ces hordes alléchées de carnage. Ces hommes, nourris de crimes pendant sept jours, gorgés de vin dans lequel on mêlait de la poudre à canon, enivrés par la vapeur du sang, s’étaient exaltés jusqu’à un état de démence physique qui les rendait incapables de repos. La fièvre de l’extermination les avait saisis. Ils n’étaient plus bons qu’à tuer. Dès que l’emploi leur manqua, beaucoup d’entre eux tournèrent leur fureur contre eux-mêmes. Quelques-uns, rentrés chez eux, se répandirent en imprécations contre l’ingratitude de la commune, qui ne leur avait fait allouer que quarante sous par jour. Ce n’était pas un sou par victime pour ces assassinats au rabais. D’autres, tourmentés de remords, ne virent plus devant leurs yeux que les visages livides, les membres saignants, les entrailles fumantes de ceux qu’ils avaient égorgés. Ils tombèrent dans des accès de folie ou dans une langueur sinistre qui les conduisit en peu de jours