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il lutta pendant une demi-heure contre ses bourreaux et en étouffa deux sous ses genoux.

Une jeune fille d’une admirable beauté, connue sous le nom de la Belle Bouquetière, accusée d’avoir blessé, dans un accès de jalousie, un sous-officier des gardes-françaises, son amant, devait être jugée sous peu de jours. Les assassins, parmi lesquels se trouvaient des vengeurs de sa victime et des instigateurs animés par sa rivale, devancèrent l’office du bourreau. Théroigne de Méricourt prêta son génie à ce supplice. Attachée nue à un poteau, les jambes écartées, les pieds cloués au sol, on brûla avec des torches de paille enflammée le corps de la victime. On lui coupa les seins à coups de sabre ; on fit rougir des fers de piques, qu’on lui enfonça dans les chairs. Empalée enfin sur ces fers rouges, ses cris traversaient la Seine et allaient frapper d’horreur les habitants de la rive opposée. Une cinquantaine de femmes délivrées de la Conciergerie par les tueurs prêtèrent leurs mains à ces supplices et surpassèrent les hommes en férocité.

Les cinq cent soixante-quinze cadavres du Châtelet et de la Conciergerie furent empilés en montagnes sur le pont au Change. La nuit, des troupes d’enfants, apprivoisés depuis trois jours au massacre, et dont les corps morts étaient le jouet, allumèrent des lampions au bord de ces monceaux de cadavres, et dansèrent la Carmagnole. La Marseillaise, chantée en chœur par des voix plus mâles, retentissait aux mêmes heures aux abords et aux portes de toutes les prisons. Des réverbères, des lampions, des torches de résine, mêlaient leurs clartés blafardes aux lueurs de la lune qui éclairait ces piles de corps, ces troncs hachés, ces têtes coupées, ces flaques de sang. Pendant cette même nuit,