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comme il aurait manœuvré ses bataillons sur un champ de bataille. Il voit venir la guerre avec ivresse, il sait d’avance le métier des héros. Il pressent que la Révolution, désertée par la noblesse et attaquée par l’Europe entière, aura besoin d’un général tout formé pour diriger les efforts désordonnés des masses qu’elle soulève. Il lui prépare ce chef. La longue subalternité de son génie le fatigue. À cinquante-six ans il a le feu de ses premières années avec le sang-froid de l’âge ; son oracle, c’est l’ardeur de parvenir : l’élan de son âme vers la gloire est d’autant plus rapide qu’il a plus de temps perdu derrière lui. Son corps, fortifié par les climats et par les voyages, se prête comme un instrument passif à son activité ; tout était jeune en lui, excepté la date de sa vie. Ses années étaient dépensées, non sa force. Il avait la jeunesse de César, l’impatience de sa fortune et la certitude de l’atteindre : vivre, pour les grands hommes, c’est grandir ; il n’avait pas vécu, car il n’avait pas assez grandi.


VII

Dumouriez était de cette stature moyenne du soldat français qui porte gracieusement l’uniforme, légèrement le sac, vivement le sabre ou le fusil ; à la fois leste et solide, son corps avait l’aplomb de ces statues de guerriers qui reposent sur leurs muscles tendus, mais qui semblent prêtes à marcher. Son attitude était confiante et fière ; tous ses mouvements étaient prompts comme son esprit. Il maniait aussi