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aux Marseillais le Pont-Neuf pour point de jonction des deux colonnes. Ces deux colonnes se confondirent en désordre au roulement du tambour et au chant du Ça ira sur la place du Louvre, et inondèrent sans obstacle le Carrousel. Un homme monté sur un petit cheval noir précédait les colonnes. Arrivé aux guichets du Carrousel, il s’empara du commandement par le seul droit de l’uniforme et par l’autorité de Danton. Cette foule lui obéit par ce besoin de direction et d’unité qui subordonne les masses au moment du danger. Il fit défiler sa troupe en bon ordre, la rangea en bataille sur le Carrousel, plaça les canons au centre, étendit ses deux ailes de manière à cerner et à dominer les bataillons incertains qui semblaient attendre la fortune pour se prononcer. Ces dispositions prises avec le coup d’œil et le sang-froid d’un général consommé, il poussa son cheval au petit pas vers la porte de la cour Royale, accompagné d’un groupe de fédérés de Brest et de Marseillais, frappa de la poignée de son sabre sur la porte, et demanda, avec le ton du commandement, qu’on ouvrît au peuple. Westermann était Alsacien, d’une famille considérée dans la bourgeoisie de sa province. Mêlé à des intrigues suspectes qui tendaient à contrefaire les billets de la caisse d’escompte, il avait été condamné à une réclusion perpétuelle à Saint-Lazare. Sa jeunesse et son activité d’esprit fermentaient dans les prisons. Il s’en échappa la veille de la prise de la Bastille. Devenu secrétaire de la municipalité d’Haguenau, sa beauté, son audace, son éloquence, lui donnèrent un grand empire sur la ville, qu’il agita dans le sens des idées nouvelles. Une réaction d’opinion l’en chassa. Il y rentra en vertu d’un décret de l’Assemblée constituante, après un combat livré entre les troupes de ligne qui l’ap-