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Des cours, le roi passa dans le jardin. Les bataillons royalistes des quartiers des Petits-Pères et des Filles-Saint-Thomas, rangés en bataille à droite et à gauche de la grande porte, sur la terrasse du château, le couvrirent de leurs baïonnettes, de leur enthousiasme et de leurs serments. Des grenadiers l’entourèrent et le prièrent d’aller passer en revue leurs camarades placés à l’extrémité du jardin, au pont tournant, pour raffermir par sa présence ce poste si important à la défense. Le roi s’y hasarda, malgré les représentations de quelques personnes de sa suite qui lui faisaient craindre d’être attaqué en chemin par les bataillons de piques rangés sur la terrasse du bord de l’eau.

Le faible cortége royal traversa le jardin dans toute sa longueur sans accident. Les grenadiers du pont tournant se montrèrent pleins de résolution et d’énergie. Mais deux esprits se partageaient la garde nationale comme la France. À peine le roi eut-il quitté le pont tournant pour revenir au château, que les bataillons de piques, ceux du faubourg Saint-Marceau et les deux bataillons entrés pendant la revue et postés par M. de Boissieu sur la terrasse de la Seine, élevèrent en immenses clameurs leurs insultes et leurs menaces contre la cour. Cette clameur monta du jardin jusqu’aux appartements des Tuileries. La reine, assise dans la chambre du roi, s’y reposait un moment, entourée de ses enfants, de sa sœur, des ministres et de Rœderer. Ce bruit fit voler un des ministres vers la fenêtre. La reine s’y précipita. Le ministre l’écarta respectueusement ; il ferma la fenêtre pour épargner à cette princesse la vue des gestes et des outrages contre son mari. « Grand Dieu ! dit-elle, c’est le roi qu’on hue ! Nous sommes perdus ! » Elle retomba anéantie sous ces alternatives de vie ou de mort.