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nonniers affectèrent de s’éloigner hors de portée de la voix, comme pour éviter d’entendre un appel auquel ils ne voulaient pas obéir. Un d’eux cependant, homme d’un extérieur martial et d’une physionomie résolue, s’étant approché du magistrat, lui dit : « Mais si l’on tire sur nous, serez-vous là ? — J’y serai, répondit Rœderer, et non derrière vos pièces, mais devant, afin que, si quelqu’un doit périr dans cette journée, nous périssions les premiers pour la défense des lois. — Nous y serons tous ! » s’écrièrent en masse les membres du département. À ces mots, le canonnier, par un geste plus expressif que les paroles, déchargea sa pièce, en répandit la charge à terre, et mettant le pied sur la mèche qui était allumée, il l’éteignit. C’était la loi qui désarmait devant le peuple. Le peuple applaudit le canonnier du haut des murs du Carrousel.

Pendant que le département échouait ainsi devant les canonniers, des officiers municipaux remettaient aux Suisses l’ordre de repousser la force par la force. À quelques pas plus loin, des émissaires marseillais, ayant pénétré dans les cours, haranguaient ces soldats étrangers pour les engager à ne point faire feu sur des patriotes qui voulaient être libres et républicains comme eux. Tout à coup on entendit frapper à coups redoublés à la porte Royale. Rœderer y accourt ; il fait ouvrir un guichet. On introduit un jeune homme maigre, pâle, exalté, officier des canonniers de l’insurrection. Il dit que son rassemblement veut se rendre à l’Assemblée, bloquer le corps législatif jusqu’à ce que la déchéance du roi ait été décrétée, et que le peuple a douze pièces de canon au Carrousel. « Nous demandons, ajoute-t-il, qu’on nous livre passage à travers le château et le jardin pour aller présenter le vœu du peuple au corps