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veille et qui attend. La reine, visiblement inquiète de ce qu’elle avait vu dans les cours, du petit nombre de défenseurs et de ce qu’on lui avait rapporté de la masse toujours croissante des assaillants, commençait à retomber de l’exaltation des premières espérances dans la prostration du découragement. C’était un de ces moments où la réalité qu’on ne veut pas voir apparaît pour la première fois confusément, et où l’on se révolte encore contre elle tout en la reconnaissant.

Marie-Antoinette demanda à Rœderer ce qu’il y avait à faire dans les circonstances telles qu’elles se révélaient depuis le lever du jour. Rœderer ne lui dissimula pas ce qui pouvait déchirer son cœur pour éclairer sa raison. Il lui présenta, pour la première fois, l’idée de placer le roi et sa famille sous la sauvegarde de la nation en les conduisant dans le sein de la représentation nationale, et en les rendant ainsi inviolables et sacrés comme la constitution elle-même. « Si le roi doit périr, madame, dit Rœderer, il faut qu’il périsse du même coup que la constitution. Mais le peuple s’arrêtera devant sa propre image personnifiée dans l’Assemblée de ses représentants. L’Assemblée elle-même ne pourra s’empêcher de défendre un roi qui confondra son existence avec la sienne. L’insurrection, criminelle devant la demeure du roi, sera parricide devant le sanctuaire de la nation. » Tels furent les conseils de Rœderer ; Marie-Antoinette rougissait en les écoutant : on voyait que sa fierté de reine luttait dans son âme avec sa tendresse d’épouse et de mère. M. Dubouchage, gentilhomme loyal et marin intrépide, vint au secours des perplexités de la princesse. « Ainsi, monsieur, dit-il à Rœderer, vous proposez de mener le roi à son ennemi ! — L’Assemblée est moins ennemie