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nions contre-révolutionnaires, chargé de papiers importants, se trompa de porte et entra dans la maison où les républicains conspiraient. On reconnut l’erreur en ouvrant les dépêches. Carra proposa de tuer le messager, afin de conserver le secret de la conjuration républicaine que le hasard venait de lui révéler. Mais un crime isolé était inutile, au moment où le tocsin allait trahir la conspiration de tout un peuple.

Le tocsin sonnait en effet dans quelques clochers des quartiers lointains de Paris. Une page d’intime confidence arrachée aux souvenirs de cœur de la jeune femme de Camille Desmoulins, Lucile Duplessis, et tachée du sang de cette jeune victime, a conservé à l’histoire les impressions tour à tour naïves et sinistres que ces premiers coups de tocsin firent sur les conspirateurs du 10 août. Pendant qu’ils arment leurs bras et qu’ils composent leur visage pour le combat ou pour la mort, on lit leurs émotions à travers leur rôle. Le 8 août, Lucile revint de la campagne à Paris pour se rapprocher de Camille Desmoulins à la veille du danger. Elle adorait son mari. Le 9, ils donnèrent un dîner de famille à Fréron, à Rebecqui, à Barbaroux, aux principaux chefs marseillais. Le repas fut gai comme l’imprévoyance de la jeunesse. La présence de cette belle femme, l’amitié, le vin, les fleurs, l’amour heureux, les saillies de Camille, l’espérance de la liberté prochaine, voilaient la mort que pouvait recéler la nuit. On se sépara pour aller chacun à son sort.

Lucile, madame Duplessis sa mère et Camille Desmoulins allèrent chez Danton. Ils trouvèrent sa femme dans les larmes. Son enfant pleurait, sans comprendre, en regardant sa mère, comme s’il eût eu le pressentiment de l’élé-