Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 10.djvu/319

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Révolution jusqu’à son but, au risque même de le dépasser, Rebecqui, lié d’abord avec les Girondins, était retourné à Marseille, et y avait recruté, de concert avec Barbaroux, cette colonne mobile de Marseillais dont les conspirateurs de Paris avaient besoin pour électriser la France et pour achever leurs desseins. L’appel de cette force populaire à Paris était une pensée de madame Roland, accomplie par ces deux jeunes séides. Pendant que les orateurs et les tribuns de l’Assemblée péroraient vainement aux Jacobins, aux Cordeliers et au Manége, agitant les masses sans leur donner d’impulsion précise, une femme et deux jeunes gens prenaient sur eux la responsabilité des événements et préparaient la journée suprême de la monarchie.

Barbaroux et Rebecqui rencontrèrent Roland aux Champs-Élysées, peu de jours avant l’arrivée des Marseillais. L’ancien ministre et les jeunes gens s’embrassèrent avec ce sentiment de solennelle tristesse qui devance dans le cœur des hommes résolus l’accomplissement des projets extrêmes. Après avoir causé à voix basse et des malheurs de la patrie et des plans qui les occupaient, ils convinrent, pour échapper à l’œil des espions de la cour, d’avoir le lendemain chez madame Roland un dernier entretien.

Les deux Marseillais se rendirent la nuit dans le petit appartement de la rue de la Harpe, où logeait depuis sa retraite le ministre disgracié. Madame Roland, l’âme de son mari et l’inspiration de ses amis, assistait à l’entretien et l’élevait à la hauteur et à la résolution de ses pensées. « La liberté est perdue si nous laissons du temps à la cour, dit Roland. La Fayette est venu révéler à Paris, par sa présence dictatoriale, le secret des trahisons qu’il médite à l’armée du Nord. L’armée du centre n’a ni comité, ni dé-