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D’autres assassinats, aussi soudains que la main de la multitude, révélaient une fièvre sourde, dont les accès ne tardèrent pas à éclater en actes plus tragiques et plus généraux. Un prêtre qui avait prêté, puis rétracté son serment constitutionnel, fut pendu à la lanterne d’un réverbère sur la place Louis XV. Un garde du corps, qui traversait le jardin des Tuileries et qui regardait avec attendrissement le palais de ses anciens maîtres changé en prison, fut trahi par ses larmes, saisi par une foule de femmes et d’enfants de quinze à seize ans, traîné sur le sable et noyé avec des raffinements de barbarie dans le bassin du jardin, sous les fenêtres du roi.

La garde nationale réprimait mollement ces attentats ; elle sentait sa force morale lui échapper à l’approche des Marseillais. Placée entre les excès du peuple et les trahisons imputées à la cour, en sévissant contre les uns elle craignait d’avoir l’air de protéger les autres. Sa situation était aussi fausse que celle du roi, placé lui-même entre la nation et les étrangers. La cour sentait son isolement et recrutait secrètement des défenseurs pour la crise qu’elle envisageait sans trop d’effroi. Les Suisses, troupe mercenaire mais fidèle ; la garde constitutionnelle récemment licenciée, mais dont les officiers et sous-officiers soldés en secret étaient retenus à Paris pour se rallier dans l’occasion ; cinq ou six cents gentilshommes appelés de leurs provinces par leur dévouement chevaleresque à la monarchie, répandus dans les différents hôtels garnis du quartier des Tuileries, munis d’armes cachées sous leurs habits, et ayant chacun un mot d’ordre et une carte d’entrée qui leur ouvraient le château les jours de rassemblement ; des compagnies d’hommes du peuple et d’anciens militaires à la solde