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tère la relevait de ses pressentiments. Forcée par la crainte des attroupements des faubourgs et des surprises nocturnes de quitter son appartement du rez-de-chaussée, Marie-Antoinette avait fait placer son lit dans une chambre du premier étage, entre la chambre du roi et celle de ses enfants. Toujours éveillée longtemps avant le jour, elle avait défendu qu’on fermât les persiennes et les rideaux de ses fenêtres, afin de jouir des premières clartés du ciel qui venaient abréger la longueur de ses nuits sans sommeil.

Une de ces nuits de juillet où la lune éclairait sa chambre, elle contempla longtemps le ciel avec un recueillement de joie intérieure. « Vous voyez cette lune, dit-elle à la personne qui veillait au pied de son lit : quand elle viendra de nouveau briller dans un mois, elle me trouvera libre et heureuse, et nos chaînes seront brisées. » Elle déroula ses espérances, ses craintes, ses angoisses, l’itinéraire des princes et du roi de Prusse, leur prochaine entrée dans Paris, ses inquiétudes sur l’explosion de la capitale à l’approche des armées étrangères, ses tristesses sur le défaut d’énergie du roi dans la crise. « Il n’est pas lâche, disait-elle ; au contraire, il est impassible devant le danger ; mais son courage est dans son cœur et n’en sort pas, sa timidité l’y comprime. Son grand-père Louis XV a prolongé son enfance jusqu’à vingt et un ans. Sa vie s’en ressent. Il n’ose rien. Sa propre parole l’effraye. Un mot énergique de sa bouche en ce moment à la garde nationale entraînerait Paris. Il ne le dira pas. Pour moi, je pourrais bien agir, et monter à cheval s’il le fallait ; mais ce serait donner des armes contre lui. On crierait à l’Autrichienne ! Une reine qui n’est pas régente, dans ma situation, doit se taire et se préparer à mourir ! »