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au berceau de toutes les grandes révolutions, depuis celui de Lucrèce jusqu’à celui de Guillaume Tell et de Sydney. Pour les hommes d’État, les révolutions sont une théorie ; pour le peuple, c’est une vengeance. Mais pour pousser la multitude à la vengeance, il faut lui montrer une victime. Puisque la cour nous refuse cette joie, il faut la donner nous-mêmes à notre cause ; il faut qu’une victime paraisse tomber sous les coups des aristocrates, il faut que l’homme que la cour sera censée avoir immolé soit un de ses ennemis les plus connus, et membre de l’Assemblée, pour que l’attentat contre la représentation nationale s’ajoute dans cet acte à l’assassinat d’un citoyen. Il faut que cet assassinat soit commis aux portes du château, pour qu’il crie vengeance de plus près. Mais quel sera ce citoyen ? Ce sera moi. Ma parole est nulle, ma vie est inutile à la liberté ; ma mort lui profitera, mon cadavre sera l’étendard de l’insurrection et de la victoire du peuple. »

Chabot écoutait Grangeneuve avec admiration. « C’est le génie du patriotisme qui t’inspire ! lui dit-il ; s’il faut deux victimes, je m’offre d’être ton second. — Tu seras plus, répliqua Grangeneuve, tu seras non pas l’assassin, puisque j’implore moi-même ma mort, mais tu seras mon meurtrier. Cette nuit je me promènerai seul et sans armes dans le lieu le plus désert et le moins éclairé, près des guichets du Louvre : aposte deux patriotes dévoués et armés de poignards, convenons d’un signe que je leur ferai moi-même pour me désigner à leurs coups ; je ferai ce signe. Ils me frapperont ; je recevrai la mort sans pousser un cri. Ils fuiront. Au jour on trouvera mon cadavre ! Vous accuserez la cour ! La vengeance du peuple fera le reste !… »

Chabot, aussi fanatique et aussi décidé que Grangeneuve