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auditoire, et improvisait des discours sur des catastrophes imaginaires. Un jour, son beau-frère M. Alluaud l’entendit à travers la porte. Il eut le pressentiment de la gloire de sa famille ; il l’envoya à Bordeaux étudier la pratique des lois.

L’étudiant fut recommandé au président Dupaty, écrivain célèbre et parlementaire éloquent. Dupaty conçut pour ce jeune homme une espérance confuse de grandeur. Il l’aima, le protégea, le prit par la main et l’admit à travailler auprès de lui. Il y a des parentés de génie comme des parentés de sang. L’homme illustre se fit le père intellectuel de l’orphelin. La sollicitude de Dupaty pour Vergniaud rappelait les patronages antiques d’Hortensius et de Cicéron. « J’ai payé de mes deniers et je continuerai à payer pour d’autres années la pension de votre beau-frère, écrit Dupaty à M. Alluaud. Je lui procurerai moi-même des causes de choix pour ses débuts ; il ne lui faut que du temps ; un jour il fera une grande gloire à son nom. Aidez-le à pourvoir à ses nécessités les plus urgentes ; il n’a pas encore de robe de palais. J’écris à son oncle pour toucher sa générosité ; j’espère que nous en obtiendrons un habit. Reposez-vous sur moi du reste, et fiez-vous à l’intérêt que m’inspirent ses infortunes et ses talents. »

Vergniaud justifia promptement ces présages d’une amitié éclairée. Il puisa chez Dupaty les vertus austères de l’antiquité autant que les formes majestueuses du forum romain. Le citoyen se sentait sous l’avocat ; l’homme de bien donnait de l’autorité, de la conscience à la parole. Riche à peine des premiers émoluments du barreau, il s’en dépouille et vend le petit héritage qu’il tenait de sa mère pour payer les dettes de son père mort. Il rachète l’honneur de sa mémoire de tout ce qu’il possède ; il arrive à Paris presque