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Femme du roi, mère du Dauphin, je suis Française par tous les sentiments de mon cœur d’épouse et de mère. Jamais je ne reverrai mon pays ! Je ne puis être heureuse ou malheureuse qu’en France. J’étais heureuse quand vous m’aimiez. »

Ce tendre reproche troubla le cœur de la jeune fille. Sa colère se fondit tout à coup en larmes. Elle demanda pardon à la reine. « C’est que je ne vous connaissais pas, lui dit-elle ; mais je vois que vous êtes bien bonne. » À ce moment, Santerre perça la foule. Mobile et sensible, quoique brutal, Santerre avait la rudesse, la fougue et l’attendrissement faciles. Les faubourgs s’ouvrirent devant lui et tremblèrent à sa voix. Il fit le geste impérieux d’évacuer la salle, et poussa lui-même ce troupeau d’hommes et de femmes par les épaules vers la porte en face de l’Œil-de-Bœuf. Le courant s’établit vers les issues opposées du palais. La chaleur était suffocante. Le front du Dauphin ruisselait de sueur sous le bonnet rouge. « Enlevez ce bonnet à cet enfant, s’écria Santerre ; vous voyez bien qu’il étouffe ! » La reine lança à Santerre un regard de mère. Santerre s’approcha d’elle ; il appuya sa main sur la table, et, se penchant vers Marie-Antoinette : « Vous avez des amis bien maladroits, madame, lui dit-il à demi-voix ; j’en connais qui vous serviraient mieux ! » La reine baissa les yeux et se tut. C’est de ce propos que datent les intelligences secrètes qu’elle établit avec les agitateurs des faubourgs. Ces grands factieux, après avoir secoué la monarchie, recevaient avec complaisance les supplications de la reine. Leur orgueil jouissait de relever la femme qu’ils avaient abaissée. Mirabeau, Barnave, Danton, avaient vendu ou offert de vendre tour à tour la puissance de leur popularité. Santerre n’offrit que sa compassion.