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les plus lâches, étalaient en passant sous les yeux de la famille royale les enseignes dérisoires ou atroces qui déshonoraient le peuple. Leurs complices indignés abaissaient de la main ces signes, et faisaient écouler vite ceux qui les portaient. Quelques-uns même adressaient des regards d’intelligence et de compassion, d’autres des sourires, d’autres des paroles de familiarité au Dauphin. Des dialogues moitié terribles, moitié respectueux, s’établissaient entre l’attroupement et l’enfant. « Si tu aimes la nation, dit un volontaire à la reine, place le bonnet rouge sur la tête de ton fils. » La reine prit le bonnet rouge des mains de cet homme, et le posa elle-même sur les cheveux du Dauphin. L’enfant étonné prit pour un jeu ces outrages. Les hommes applaudirent ; mais les femmes, plus implacables envers une femme, ne cessèrent d’invectiver. Les mots obscènes empruntés aux égouts des halles frappaient pour la première fois les voûtes du palais et l’oreille de ces enfants. Leur ignorance les sauvait de l’horreur de les comprendre. La reine en rougissait jusqu’aux yeux, mais sa pudeur offensée ne rabaissait rien de sa mâle fierté. On voyait qu’elle rougissait pour ce peuple, pour ces enfants, et non pour elle. Une jeune fille, d’une figure gracieuse et d’un costume décent, s’élançait avec plus d’acharnement, et se répandait en plus amères invectives contre l’Autrichienne. La reine, frappée du contraste entre la fureur de cette jeune fille et la douceur de ses traits, lui dit avec bonté : « Pourquoi me haïssez-vous ? vous ai-je jamais fait, à mon insu, quelque injure ou quelque mal ? — À moi, non, répondit la belle patriote ; mais c’est vous qui faites le malheur de la nation. — Pauvre enfant, répliqua la reine, on vous l’a dit, on vous a trompée : quel intérêt avais-je à faire le malheur du peuple ?