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table où il venait de signer les comptes du général. Dumouriez était debout à côté de lui, les mains jointes. Le roi prit ses mains dans les siennes, et lui dit d’un son de voix ému, mais résigné : « Dieu m’est témoin que je ne pense qu’au bonheur de la France. — Je n’en doute pas, reprit Dumouriez attendri. Vous devez compte à Dieu non-seulement de la pureté, mais aussi de l’usage éclairé de vos intentions. Vous croyez sauver la religion, vous la détruisez. Les prêtres seront massacrés. Votre couronne vous sera enlevée ; peut-être même, vous, la reine, vos enfants… » Il n’acheva pas ; il colla sa bouche sur la main du roi, qui de son côté versait des larmes. « Je m’attends à la mort, reprit le roi avec tristesse, et je la pardonne d’avance à mes ennemis. Je vous sais gré de votre sensibilité. Vous m’avez bien servi ; je vous estime. Adieu. Soyez plus heureux que moi. » En disant ces mots, Louis XVI alla s’enfoncer dans l’embrasure d’une fenêtre au fond de la chambre, pour cacher le trouble de sa physionomie. Dumouriez ne le revit plus. Il s’enferma quelques jours dans la retraite au fond d’un quartier éloigné de Paris. Regardant l’armée comme le seul asile où un citoyen pût encore servir sa patrie, il partit pour Douai, quartier général de Luckner.


V

Les ministres girondins restèrent un moment atterrés entre l’humiliation de leur chute et la joie de leur prochaine