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À ces mots, Camille Desmoulins, ennemi de Brissot, caché dans la salle, se penche vers l’oreille de son voisin et lui dit tout haut, avec un rire ironique : « Que d’art dans ce coquin ! Cicéron et Démosthène n’ont pas d’insinuations plus éloquentes. » Des cris de colère partent des rangs des amis de Brissot et demandent l’expulsion de Camille Desmoulins. Un censeur de la salle qualifie de propos infâmes l’exclamation du pamphlétaire et rétablit le silence. Brissot continue : « La dénonciation est l’arme du peuple : je ne m’en plains pas. Savez-vous quels sont ses plus cruels ennemis ? Ce sont ceux qui prostituent la dénonciation. Des dénonciations, oui ! mais des preuves ! Couvrez du plus profond mépris celui qui dénonce et qui ne prouve pas ! Depuis quelque temps on parle de protecteur et de protectorat ? Savez-vous pourquoi ? C’est pour accoutumer les esprits au nom de tribunat et de tribun. Ils ne voient pas que jamais le tribunat n’existera. Qui oserait détrôner le roi constitutionnel ? Qui oserait se mettre la couronne sur la tête ? Qui peut s’imaginer que la race de Brutus est éteinte ? Et quand il n’y aurait plus de Brutus, où est l’homme qui ait dix fois le talent de Cromwell ? Croyez-vous que Cromwell lui-même eût réussi dans une révolution comme la nôtre ? Il avait pour lui deux avenues faciles de l’usurpation qui n’existent pas aujourd’hui : l’ignorance et le fanatisme. Vous qui croyez voir un Cromwell dans La Fayette, vous ne connaissez ni La Fayette ni votre siècle. Cromwell avait du caractère, La Fayette n’en a pas. On ne devient pas protecteur sans audace et sans caractère ; et quand il aurait l’un et l’autre, cette société renferme une foule d’amis de la liberté qui périraient plutôt que de le soutenir. J’en fais le premier le serment, ou l’égalité régnera en France, ou je mourrai en