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DE LA POÉSIE.

poëte : ce sont des espérances et non des réalités que l’on a saluées et caressées en moi. La Providence me force à tromper toutes ces espérances : mais que ceux qui m’ont ainsi encouragé dans toutes les parties de la France et de l’Europe sachent combien mon cœur a été sensible à cette sympathie qui a été ma plus douce récompense, qui a noué entre nous les liens invisibles d’une amitié intellectuelle. Ils m’ont rendu bien au delà de ce que je leur ai donné. Je ne sais quel poëte disait qu’une critique lui faisait cent fois plus de peine que tous les éloges ne pourraient lui faire de plaisir. Je le plains et je ne le comprends pas : quant à moi, je puis sans peine oublier toutes les critiques, fondées ou non, qui m’ont assailli sur ma route, et d’abord j’ai la conscience d’en avoir mérité beaucoup ; mais fussent-elles toutes injustes et amères, elles auraient été amplement compensées par cette foule innombrable de lettres que j’ai reçues de mes amis inconnus. Une douleur que vos vers ont pu endormir un moment, un enthousiasme que vous avez allumé le premier dans un cœur jeune et pur, une prière confuse de l’âme à laquelle vous avez donné une parole et un accent, un soupir qui a répondu à un de vos soupirs, une larme d’émotion qui est tombée à votre voix de la paupière d’une femme, un nom chéri, symbole de vos affections les plus intimes, et que vous avez consacré dans une langue moins fragile que la langue vulgaire, une mémoire de mère, de femme, d’amie, d’enfant, que vous avez embaumée pour les siècles dans une strophe de sentiment et de poésie ; la moindre de ces choses saintes consolerait de toutes les critiques, et vaut cent fois, pour l’âme du poëte, ce que ses faibles vers lui ont coûté de veilles ou d’amertume !

Paris, 11 février 1834.