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DES DESTINÉES

à ce groupe politique, que je renonce momentanément à la solitude, seul asile qui reste à ma pensée souffrante. Dès qu’il sera formé, dès qu’il aura une place dans la presse et dans les institutions, je rentrerai dans la vie poétique. Un monde de poésie roule dans ma tête ; je ne désire rien, je n’attends rien de la vie que des peines et des pertes de plus. Je me coucherais dès aujourd’hui avec plaisir dans le lit de mon sépulcre ; mais j’ai toujours demandé à Dieu de ne pas mourir sans avoir révélé à lui, au monde, à moi-même, une création de cette poésie qui a été ma seconde vie ici-bas ; de laisser après moi un monument quelconque de ma pensée : ce monument, c’est un poëme ; je l’ai construit et brisé cent fois dans ma tête, et les vers que j’ai publiés ne sont que des ébauches mutilées, des fragments brisés de ce poëme de mon âme. Serai-je plus heureux maintenant que je touche à la maturité de la vie ? Ne laisserai-je ma pensée poétique que par fragments et par ébauches, ou lui donnerai-je enfin la forme, la masse et la vie dans un tout qui la coordonne et la résume, dans une œuvre qui se tienne debout et qui vive quelques années après moi ? Dieu seul le sait ; et qu’il me l’accorde ou non, je ne l’en bénirai pas moins. Lui seul sait à quelle destinée il appelle ses créatures, et, pénible ou douce, éclatante ou obscure, cette destinée est toujours parfaite, si elle est acceptée avec résignation et en inclinant la tête !

Maintenant il ne me reste qu’à remercier toutes les âmes tendres et pieuses de mon temps, tous mes frères en poésie qui ont accueilli avec tant de fraternité et d’indulgence les faibles notes que j’ai chantées jusqu’ici pour eux. Je ne pense pas qu’aucun poëte romain ait reçu plus de marques de sympathie, plus de signes d’intelligence et d’amitié de la jeunesse de son temps que je n’en ai reçu moi-même ; moi, si incomplet, si inégal, si peu digne de ce nom de