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DES DESTINÉES

elles-mêmes, sont bien loin de répondre à mes désirs et d’exprimer ce que j’ai senti ; elles sont très-imparfaites, très-négligées, très-incomplètes, et je ne pense pas qu’elles vivent bien longtemps dans la mémoire de ceux dont la poésie est la langue. Je ne me repens cependant pas de les avoir publiées ; elles ont été une note au moins de ce grand et magnifique concert d’intelligences que la terre exhale de siècle en siècle vers son auteur, que le souffle du temps laisse flotter harmonieusement quelques jours sur l’humanité, et qu’il emporte ensuite où vont plus ou moins vite toutes les choses mortelles. Elles auront été le soupir modulé de mon âme en traversant cette vallée d’exil et de larmes, ma prière chantée au grand Être, et aussi quelquefois l’hymne de mon enthousiasme, de mon amitié ou de mon amour pour ce que j’ai vu, connu, admiré ou aimé de bon et de beau parmi les hommes ; un souvenir à toutes les vies dont j’ai vécu et que j’ai perdues !

La pensée politique et sociale qui travaille le monde intellectuel, et qui m’a toujours fortement travaillé moi-même, m’arrache pour deux ou trois ans tout au plus aux pensées poétiques et philosophiques, que j’estime à bien plus haut prix que la politique. La poésie, c’est l’idée ; la politique, c’est le fait : autant l’idée est au-dessus du fait, autant la poésie est au-dessus de la politique. Mais l’homme ne vit pas seulement d’idéal ; il faut que cet idéal s’incarne et se résume pour lui dans les institutions sociales ; il y a des époques où ces institutions, qui représentent la pensée de l’humanité, sont organisées et vivantes ; la société alors marche toute seule, et la pensée peut s’en séparer, et de son côté vivre seule dans des régions de son choix ; il y en a d’autres où les institutions usées par les siècles tombent en ruines de toutes parts, et où chacun doit apporter sa pierre et son ciment pour reconstruire un abri à l’humanité. Ma