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DES DESTINÉES

qui, montrant à l’homme la vulgarité de son œuvre, l’appelle sans cesse en avant, en lui montrant du doigt des utopies, des républiques imaginaires, des cités de Dieu, et lui souffle au cœur le courage de les atteindre.

À côté de cette destinée philosophique, rationnelle, politique, sociale de la poésie à venir, elle a une destinée nouvelle à accomplir : elle doit suivre la pente des institutions et de la presse ; elle doit se faire peuple, et devenir populaire comme la religion, la raison et la philosophie. La presse commence à pressentir cette œuvre, œuvre immense et puissante qui, en portant sans cesse à tous la pensée de tous, abaissera les montagnes, élèvera les vallées, nivellera les inégalités des intelligences, et ne laissera bientôt plus d’autre puissance sur la terre que celle de la raison universelle, qui aura multiplié sa force par la force de tous. Sublime et incalculable association de toutes les pensées, dont les résultats ne peuvent être appréciés que par Celui qui a permis à l’homme de la concevoir et de la réaliser !

La poésie de nos jours a déjà tenté cette forme, et des talents d’un ordre élevé se sont abaissés pour tendre la main au peuple ; la poésie s’est faite chanson, pour courir sur l’aile du refrain dans les camps ou dans les chaumières ; elle y a porté quelques nobles souvenirs, quelques généreuses inspirations, quelques sentiments de morale sociale ; mais cependant, il faut le déplorer, elle n’a guère popularisé que des passions, des haines ou des envies. C’est à populariser des vérités, de l’amour, de la raison, des sentiments exaltés de religion et d’enthousiasme, que ces génies populaires doivent consacrer leur puissance à l’avenir. Cette poésie est à créer ; l’époque la demande, le peuple en a soif ; il est plus poëte par l’âme que nous, car il est plus près de la nature : mais il a besoin d’un interprète