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DES DESTINÉES

La vallée s’abaissait d’abord par des pentes larges et douces du pied des neiges, et des cèdres qui formaient une tache noire sur ces neiges ; là elle se déroulait sur des pelouses d’un vert jaune et tendre comme celui des hautes croupes du Jura ou des Alpes, et une multitude de filets d’eau écumante sortis çà et là du pied des neiges fondantes sillonnaient ces pentes gazonnées, et venaient se réunir en une seule masse de flots et d’écume au pied du premier gradin de rochers. Là, la vallée s’enfonçait tout à coup à quatre ou cinq cents pieds de profondeur, et le torrent se précipitait avec elle ; et, s’étendant sur une large surface, tantôt couvrait le rocher comme d’un voile liquide et transparent, tantôt s’en détachait en voûtes élancées, et, tombant enfin sur des blocs immenses et aigus de granit arrachés du sommet, s’y brisait en lambeaux flottants, et retentissait comme un tonnerre éternel. Le vent de sa chute arrivait jusqu’à nous en emportant comme de légers brouillards la fumée de l’eau à mille couleurs, la promenait çà et là sur toute la vallée, ou la suspendait en rosée aux branches des arbustes et aux aspérités du roc.

En se prolongeant vers le nord, la Vallée des Saints se creusait de plus en plus et s’élargissait davantage ; puis, à environ deux milles du point où nous étions placés, deux montagnes nues et couvertes d’ombres se rapprochaient en s’inclinant l’une vers l’autre, laissant à peine une ouverture de quelques toises entre leurs deux extrémités, où la vallée allait se terminer et se perdre avec ses pelouses, ses vignes hautes, ses peupliers, ses cyprès et son torrent de lait. Au-dessus des deux monticules qui l’étranglaient ainsi, on apercevait à l’horizon comme un lac d’un bleu plus sombre que le ciel : c’était un morceau de la mer de Syrie, encadré par un golfe fantastique d’autres montagnes du Liban. Ce golfe était à vingt lieues de nous, mais