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DE LA POÉSIE.

Assis sur quelques fragments de corniches et de chapiteaux qui servaient de bancs dans la cour, nous mangeâmes rapidement le sobre repas du voyageur dans le désert, et nous restâmes quelque temps à nous entretenir, avant le sommeil, de ce qui remplissait nos pensées. Le foyer s’éteignait, mais la lune se levait pleine et éclatante dans le ciel limpide, et, passant à travers les crénelures d’un grand mur de pierres blanches et les dentelures d’une fenêtre en arabesques qui bornaient la cour du côté du désert, elle éclairait l’enceinte d’une clarté qui rejaillissait sur toutes les pierres.

Le silence et la rêverie nous gagnèrent ; ce que nous pensions à cette heure, à cette place, si loin du monde vivant, dans ce monde mort, en présence de tant de témoins moins muets d’un passé inconnu, mais qui bouleverse toutes nos petites théories d’histoire et de philosophie de l’humanité ; ce qui se remuait dans nos esprits ou dans nos cœurs, de nos systèmes, de nos idées, hélas ! et peut-être aussi de nos souvenirs et de nos sentiments individuels, Dieu seul le sait ; et nos langues n’essayaient pas de le dire ; elles auraient craint de profaner la solennité de cette heure, de cet astre, de ces pensées même : nous nous taisions. Tout à coup, comme une plainte douce et amoureuse, comme un murmure grave et accentué par la passion, sortit des ruines derrière ce grand mur percé d’ogives arabesques, et dont le toit nous avait paru écroulé sur lui-même : ce murmure vague et confus s’enfla, se prolongea, s’éleva plus fort et plus haut, et nous distinguâmes un chant nourri de plusieurs voix en chœur, un chant monotone, mélancolique et tendre, qui montait, qui baissait, qui mourait, qui renaissait alternativement et qui se répondait à lui-même : c’était la prière du soir que l’évêque arabe faisait, avec son petit troupeau, dans l’enceinte éboulée de ce qui avait été son