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MÉDITATIONS


Là, sur un pont tremblant tu défiais la foudre ;
Là, du désert sacré tu réveillais la poudre ;
Ton coursier frissonnait dans les flots du Jourdain ;
Là, tes pas abaissaient une cime escarpée ;
Là, tu changeais en sceptre une invincible épée.

Ici… Mais quel effroi soudain !


Pourquoi détournes-tu ta paupière éperdue ?
D’où vient cette pâleur sur ton front répandue ?
Qu’as-tu vu tout à coup dans l’horreur du passé ?
Est-ce de vingt cités la ruine fumante,
Ou du sang des humains quelque plaine écumante ?

Mais la gloire a tout effacé.


La gloire efface tout… tout, excepté le crime !
Mais son doigt me montrait le corps d’une victime,
Un jeune homme, un héros d’un sang pur inondé.
Le flot qui l’apportait passait, passait sans cesse ;
Et toujours en passant la vague vengeresse

Lui jetait le nom de Condé…


Comme pour effacer une tache livide,
On voyait sur son front passer sa main rapide ;
Mais la trace du sang sous son doigt renaissait :
Et, comme un sceau frappé par une main suprême,
La goutte ineffaçable, ainsi qu’un diadème,

Le couronnait de son forfait.


C’est pour cela, tyran, que ta gloire ternie
Fera par ton forfait douter de ton génie ;
Qu’une trace de sang suivra partout ton char,
Et que ton nom, jouet d’un éternel orage,
Sera par l’avenir ballotté d’âge en âge

Entre Marius et César.