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POÉTIQUES.


Être d’un siècle entier la pensée et la vie ;
Émousser le poignard, décourager l’envie,
Ébranler, raffermir l’univers incertain ;
Aux sinistres clartés de ta foudre qui gronde
Vingt fois contre les dieux jouer le sort du monde,

Quel rêve !  !  ! et ce fut ton destin !…


Tu tombas cependant de ce sublime faîte :
Sur ce rocher désert jeté par la tempête,
Tu vis tes ennemis déchirer ton manteau ;
Et le sort, ce seul dieu qu’adora ton audace,
Pour dernière faveur t’accorda cet espace

Entre le trône et le tombeau.


Oh ! qui m’aurait donné d’y sonder ta pensée,
Lorsque le souvenir de ta grandeur passée
Venait, comme un remords, t’assaillir loin du bruit,
Et que, les bras croisés sur ta large poitrine,
Sur ton front chauve et nu que la pensée incline,

L’horreur passait comme la nuit ?


Tel qu’un pasteur debout sur la rive profonde
Voit son ombre de loin se prolonger sur l’onde,
Et du fleuve orageux suivre en flottant le cours ;
Tel, du sommet désert de ta grandeur suprême,
Dans l’ombre du passé te recherchant toi-même,

Tu rappelais tes anciens jours.


Ils passaient devant toi comme des flots sublimes
Dont l’œil voit sur les mers étinceler les cimes :
Ton oreille écoutait leur bruit harmonieux ;
Et, d’un reflet de gloire éclairant ton visage,
Chaque flot t’apportait une brillante image

Que tu suivais longtemps des yeux.