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POÉTIQUES.

L’âme est tout ; quel que soit l’immense flot qu’il roule,
Un grand peuple sans âme est une vaste foule !
Du sol qui l’enfanta la sainte passion
D’un essaim de pasteurs fait une nation :
Une goutte de sang dont la gloire tient trace
Teint pour l’éternité le drapeau d’une race !
N’en est-il pas assez sur la flèche de Tell
Pour rendre son ciel libre et son peuple immortel ?
Sparte vit trois cents ans d’un seul jour d’héroïsme.
La terre se mesure au seul patriotisme.
Un pays ? c’est un homme, une gloire, un combat !
Zurich ou Marathon, Salamine ou Morat !

La grandeur de la terre est d’être ainsi chérie :
Le Scythe a des déserts, le Grec une patrie !…
Autour d’un groupe épars de montagnes, d’îlots,
Promontoires noyés dans les brumes des flots,
Avec son sang versé d’une héroïque artère,
Léonidas mourant écrit du doigt, sur terre,
Des titres de vertu, d’amour, de liberté,
Qui lèguent un pays à l’immortalité !
Qu’importe sa surface ? un jour, cette colline
Sera le Parthénon, et ces flots Salamine !
Vous les avez écrits, ces titres et ces droits,
Sur un granit plus sûr que les chartes des rois !

Mais ce n’est plus le glaive, Huber, c’est la pensée,
Par qui des nations la force est balancée.
Le règne de l’esprit est à la fin venu.
Plus d’autres boucliers ! — l’homme combat à nu. —
La conquête brutale est l’erreur de la gloire.
Tu l’as vu, nos exploits font pleurer notre histoire.
De triomphe en triomphe, un ingrat conquérant
A rétréci le sol qui l’avait fait si grand !…