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DES MÉDITATIONS.

distances égales, j’en refermais aux deux extrémités l’orifice, et j’en taillais ainsi des flûtes que j’allais essayer le lendemain avec mes camarades, les enfants du village, et qui résonnaient mélodieusement au printemps sous les saules au bord du ruisseau, dans les prés.

Mon père avait une voix sonore, douce, grave, vibrante, comme les palpitations d’une corde de harpe, où la vie des entrailles auxquelles on l’a arrachée semble avoir laissé le gémissement d’un nerf animé. Cette voix, qu’il avait beaucoup exercée dans sa jeunesse en jouant la tragédie et la comédie dans les loisirs de ses garnisons, n’était point déclamatoire, mais pathétique. Elle empruntait un attendrissement d’organe et une suavité de son de plus, de l’heure, du lieu, du recueillement de la soirée, de la présence de ses petits enfants jouant ou dormant autour de lui, du bruit monotone de ce berceau à qui le mouvement était imprimé par le bout de la pantoufle de notre mère, et par l’aspect de cette belle jeune femme qu’il adorait, et qu’il se plaisait à distraire des perpétuels soucis de sa maternité.

Il lisait dans un grand et beau volume relié en peau et à tranche dorée (c’était un volume des œuvres de Voltaire) la tragédie de Mérope. Sa voix changeait d’accents avec le rôle. C’était tantôt le tyran cruel, tantôt la mère tremblante, tantôt le fils errant et persécuté ; puis les larmes de la reconnaissance, puis les soupçons de l’usurpateur, puis la fureur, la désolation, le coup de poignard, les larmes, les sanglots, la mort, le livre qui se refermait, le long silence qui suit les fortes commotions du cœur.

Tout en creusant mes flûtes de sureau, j’écoutais, je comprenais, je sentais ; ce drame de mère et de fils se déroulait précisément tout entier dans l’ordre d’idées et de