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d’adieu. L’avion disparut bientôt au-dessus de la chute et s’enfonça dans la forêt sans fin.

Les bonnes commères restées sur la grève commentaient cet événement comme si Jacques était déjà parti pour l’autre monde.

Marguerite Brindamour disait à sa compagne :

— Y a des personnes qui étions nées pour la malchance.

— Y a ben une destinée, allez ! reprit Joséphine Leblanc.

— Oui, et on ne peut y échapper ! dit à son tour Catherine Mélanson.

— C’est bien vrai tout ça, reprit Marguerite Brindamour ; on peut pas y échapper ! Voyez-vous notre petite reine, comme on la nomme toujours, ça ne l’empêche pas d’être une morue de bonne fille quand même. Mais elle « étà » pas née pour la chance ! A partions toute jeune pour Québec et elle étions pas encore retournée que sa mère y « mourit » dans les bras. A s’emourachions d’un beau capitaine et le v’là qui s’en va se faire tuer bêtement et p’t’être bien se faire manger par les bêtes sauvages.

— Oui, mais y étions pas encore mort, dit Varsovie Sainfoin.

— J’avions pourtant promis de ne plus me mêler de rien, reprit Joséphine Leblanc ; mais j’avions ben droit à « noutre » opinion quand même, et je redemandions comment le capitaine pourra revenir du diable vert si lui arrivions un accident ?

— « Ah ! badame ! » qui vivra verra ! dit sentencieusement Catherine Mélanson,

— Mais si les marsouins reviennent, reprit Joséphine, et que notre bon capitaine étions mort, il nous faudra encore manger de la vache enragée de Québec, avec ça que la viande étions pas si bonne, même quand elle est fraîche. Allons donc dire notre chapelet pour le repos de son âme.

— Oui, reprirent-elles à l’unisson.

Plusieurs autres personnes se rendirent à l’église avec la même intention de prier pour le repos de l’âme de Jacques.