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son chant matinal ; mais le printemps de la Côte qui, sans faire reverdir les arbres d’essence résineuse et éternellement verts, apporte quand même une certaine gaieté à ceux qui sont coutumiers de sa venue tardive.

Le premier bateau de la poste fut accueilli avec des cris de joie quand il fit son apparition, un beau soir de mai, après l’exercice du mois de Marie, au moment où les fidèles sortaient de l’église. On fêta gaiement ce premier signe de vie extérieure, et nombreuses furent les barques de pêcheurs qui allèrent à la rencontre du bateau, chargées de jeunes gens et de jeunes filles, simplement, comme disait un « loustic », pour voir si le bateau se portait bien.

Angéline, qui avait revêtu une toilette de demi-deuil, s’était mêlée aux autres villageois, quoiqu’elle refusât de prendre place à bord des barques qui se rendirent au large, de crainte d’éveiller en elle de trop cuisants souvenirs.

Sa beauté ne faisait que s’accroître au contact de la froide bise du nord, et l’air salin lui avait redonné ses couleurs d’enfant. Le temps, grand guérisseur, faisait son œuvre. Elle avait recouvré sa gaieté et faisait souvent de longues promenades sur la grève en compagnie de jeunes filles qui, comme elle, étaient l’image de la santé. Souvent seule aussi, quand la température était belle et que les soins de la maison lui en donnaient le loisir, elle se coiffait d’un bonnet breton et faisait de longues promenades, ayant l’air de méditer sur quelque sujet inconnu des villageois. Elle errait ainsi de longues heures sur la grève, s’asseyant pour se reposer sur un rocher escarpé, contemplant cette grande nature sauvage et muette pour les étrangers, mais qui dit cependant de si jolies choses aux habitants du pays qui lui sont attachés par les fibres les plus intimes de leur être.

Un jour qu’Angéline faisait seule l’un de ces pèlerinages méditatifs par une belle après-midi ensoleillée, elle tourna ses regards vers le sud-ouest et crut distinguer les deux ailes d’un aéroplane qui se dirigeait en droite ligne sur la Rivière-au-Tonnerre. Elle resta un moment stupéfiée, se