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— J’ai l’habitude de réserver cette histoire pour la fin ; mais puisque vous le désirez ! Ça vous va tous ?

— Oui,… oui,… répondirent à l’unisson tous les enfants.

— Moi, je me mets tout près du père Ambroise pour mieux entendre, dit la blonde petite Agathe.

— Viens t’asseoir sur mes genoux, lui proposa André.

— Ça y est ? dit le père Ambroise.

Le vieux conteur prenait bien son aplomb, puis les deux coudes sur les genoux, commençait toujours ainsi son récit :

— Il y « avé » une « foa ! » dans notre belle Acadie, qui était autrefois un domaine de la vieille France, sous les grands rois (le père Ambroise essuyait toujours une larme à ce point de son récit), un village qui se « dénommait » Grandpré. Ce village était situé au bord de la mer, comme vous le verrez d’ailleurs dans un instant. On y vivait content, heureux. La campagne verdoyante des alentours était peuplée de nos gens, de bons Acadiens comme nous, qui prospéraient sur des terres fertiles. On y entendait du matin jusqu’au soir le chant du laboureur pendant que la charrue, dont le soc déchirait le sol, était tirée par deux bons bœufs paisibles et doux.

— Évangéline était-elle sur une de ces fermes ? interrompit Thomas, âgé de sept ans.

— Fais « moa » pas perdre le fil de mon histoire, nom d’un nom ! Où est-ce que j’en étais rendu ?

— Deux bœufs paisibles et doux, dit Thomas timidement pour réparer sa gaucherie.

— Or il y avait, dans le village de Grandpré, la plus belle fille qui ne se fût jamais vue. Elle était taillée au ciseau, comme on dit, et avec ça une belle chevelure, blonde comme une gerbe de blé. Ah ! puis les deux beaux grands yeux bleus qu’elle avait ! Aussi fallait-il voir les garçons faire la roue autour d’elle le dimanche après la grand’messe quand elle sortait de l’église ; c’était à qui lui ferait de l’œil. C’était elle Évangéline (pointant vers Thomas qui l’avait interrompu). C’était la fille à Benoît