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Après les incidents que je vous raconterai plus loin, j’ai dû m’aliter pour me remettre.

Les journaux ont dû vous apprendre la tempête que nous avons essuyée en mer. (Je dis en mer, car, ici, quand nous parlons du Golfe, nous disons toujours la mer). Comme les détails ne vous sont certainement pas parvenus, permettez, digne mère, que je vous en raconte les péripéties.

Nous partîmes de Québec, comme vous le savez, le 24 juin au matin sous les plus heureux auspices, et le voyage se continua ainsi jusqu’au vendredi soir. La température idéale dont nous étions favorisés mettait la joie dans tous les cœurs. Le spectacle féerique de notre départ de Québec, puis le déroulement de ce panorama incomparable que nous voyions de notre bateau filant droit au milieu du fleuve (comme si le capitaine eût voulu que nous jouissions autant du spectacle qui s’offrait sur la rive droite que de celui qui nous était offert sur la gauche) ; des compagnons de voyage charmants et un équipage irréprochable, (j’ai trouvé une amélioration dans les moyens de transport depuis mon départ, il y a cinq ans) ; tout enfin semblait s’harmoniser pour nous procurer un bon voyage. Le pessimisme du bon vieux capitaine Bouchard, à qui vous m’aviez confiée au départ, était le seul point noir à l’horizon. Notre inexpérience nous faisait presque rire de ses craintes, qui nous semblaient puériles, quand nous dûmes enfin constater qu’elles n’étaient pas vaines.

Vers les sept heures du soir, commença à s’élever un fort vent du nord-est qui dégénéra bientôt en une tempête furieuse. Ma plume est impuissante à vous décrire les horreurs de cette nuit d’agonie, où tout ce qu’il y avait de vivant sur le pont fut balayé à la mer. Les cris de ces pauvres animaux, bientôt noyés, étaient terrifiants à entendre. Ce qui créa cependant le plus de sympathies, ce fut la mort d’un pauvre sauvage qui, n’ayant pas voulu pénétrer à l’intérieur du bateau, fut foudroyé sur le pont en présence de son compagnon qui avait échappé par miracle à la mort.