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les rivières, mais celles-ci sont toutes en possession des seigneurs de la Minganie ou d’Américains qui y possèdent tous les droits de pêche.

Force leur fut donc de s’expatrier. Quelques-uns partirent pour l’île d’Anticosti, propriété d’un riche sénateur français qui y faisait un immense commerce de bois. (Cette île, peuplée de chevreuils et d’animaux à fourrure de toutes sortes, avait des règlements particuliers pour la protection du gibier et des animaux à fourrure et la chasse et la pêche y étaient strictement prohibées ; mais ceux qui voulurent se conformer aux règlements de l’Île y trouvèrent de l’ouvrage). Ceux qui ne voulurent pas quitter leur métier traversèrent du côté sud sur la côte de Gaspé, et quelques-uns se rendirent même jusqu’aux bancs de Miscou dans la Baie des Chaleurs ; d’autres filèrent jusque sur les bancs de Terre-Neuve pour ne revenir qu’à l’automne, comme les pêcheurs bretons. Ceux qui, par exception, comme le père Guillou, avaient des économies ou se faisaient vieux, étaient restés à la maison et pourvoyaient aux besoins des familles nécessiteuses, sous la direction du vieux curé. Ils allaient aussi à la rencontre des bateaux avec leurs barques à essence, pour en ramener les maigres provisions que leurs ressources leur permettaient encore de faire venir de Québec.


XII


Le retard du bateau de la poste, qui était attendu le vendredi au cours de la journée, mit la consternation dans l’âme de la famille Guillou. La tempête qui sévissait au large s’était aussi fait sentir d’une manière désastreuse sur la grève. La rafale avait tout balayé dans la petite anse où les barques étaient ancrées. Quelle ne fut pas la stupeur des habitants restés au village de voir, au milieu du scintillement intermittent des éclairs, les petites barques s’entrechoquer, puis venir avec fracas se briser sur