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— Ris si il veux, la petite ! mais le vent tourne au nord-est. Tu le connais le traître nord-est, toi qui as été élevée sur la Côte.

— Si je le connais ! Oui ; et comme mon pauvre père le craignait quand il partait pour la pêche et qu’il s’élevait de ce côté. Je l’entendais souvent rentrer et dire à ma mère : le nord-est s’élève, prie pour moi ! Ma mère passait le reste de la nuit en prières et moi aussi je priais pour ce cher père, afin qu’il ne lui arrivât pas malheur.

— « Fais-moi pas pleurer » à présent ! Oui, c’est ben dur le métier de pêcheur.

— Aurons-nous du mauvais temps aujourd’hui, Monsieur le Capitaine ? dit Angéline d’un air converti.

— Pas avant la traverse de l’Anticosti ; mais je crains qu’elle ne soit rude, avec les courants contraires qui sont toujours une source d’ennuis, même par temps calme.

— J’avais espéré que vous seriez optimiste, mais je vois bien que vous êtes comme mon père, que vous connaissez ça mieux que moi. En tout cas, nous dormirons bien sur nos deux oreilles en attendant la traverse de l’Île qui ne sera que demain, je suppose ? D’ailleurs, nous avons pleine confiance en l’habileté du capitaine.

— T’es ben bonne, la petite ! En effet, j’ai mes états de service ; trente-cinq ans sur la mer ; mais un marin ne sait jamais ce que lui réserve le lendemain ; aussi doit-il toujours avoir son testament écrit et son billet pour le ciel en poche, sans quoi, gare aux surprises !


VII


Le souper fini, tous se retrouvèrent sur le pont pour contempler le beau coucher du soleil, dorant de ses pâles rayons, par-dessus les montagnes abruptes de la Côte nord, les petits villages échelonnés sur la rive sud.

Un à un, ces villages disparurent dans l’obscurité d’un soir idéal sous un ciel sans nuage.