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— En effet, ma Sœur, vous me rappelez une chose que j’avais oubliée.

— Ce jeune homme a une allure étrange et il insiste pour vous voir seule.

— Lui avez-vous demandé son nom ?

— Oui, mais il n’a pas voulu me le dire.

— C’est étrange ! Quelle apparence a-t-il ?

— Il est brun, grand de taille, port droit à la militaire, voix très douce, mais en même temps autoritaire.

Toutes les couleurs de l’arc-en-ciel passèrent sur la figure de Mère Saint-Vincent-de-Paul.

— Se pourrait-il que ce fût lui, grand Dieu ? murmura-t-elle tout bas.

— Dois-je éconduire le jeune homme ? dit la petite Sœur voyant l’émotion que ressentait sa supérieure.

Non ! Il ne faut jamais éconduire personne, fût-ce un sauvage. L’apparence de celui-ci, d’après la description que vous en faites (un babil de fourrures ne renferme pas nécessairement un sauvage), doit avoir quelque chose de particulier à me dire. J’irai seule au parloir.

— Mais, Mère.

— Il n’y a aucun danger ! D’ailleurs tenez-vous prête à répondre, si j’appelle.

Pressentant un événement extraordinaire, Mère Saint-Vincent-de-Paul tressaillait de tous ses membres, quand elle posa sa main tremblante sur la clenche de la porte du modeste parloir de l’hospice. Elle recula un instant sentant que tout son sang se retirait au cœur. Elle déclencha enfin la porte, qui sembla s’ouvrir d’elle-même.

Pâle comme la mort, le jeune homme se tenait debout en proie aux mêmes émotions, quand la porte s’ouvrit.

Quand leurs yeux se rencontrèrent, ils restèrent figés comme deux statues.

Les yeux remplis de larmes, Jacques s’avança vers elle et, prenant la main qu’elle lui offrit inconsciemment, la baisa avec respect. Un long silence suivit ce premier geste.

— Suis-je bien éveillée, ou suis-je victime d’une hallucination ? Est-ce l’âme de Jacques Vigneault, mort depuis