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— Faites ce que vous voudrez, répondit mon grand-père ; quant à moi je pars incessamment à la poursuite des bandits.

— Vous perdez la raison, Comeau. Comment poursuivre à pied des gens à cheval ?

— Je connais cette crapule, baron, et, si vous me le permettez, je les rattraperai demain matin au point du jour.

— Expliquez-vous, alors !

— D’abord ce sont des paresseux. L’effort qu’ils ont fait depuis dix jours pour nous suivre, la nuit blanche qu’ils ont passée à préparer leur coup les auront terrassés et je parie que, se croyant hors de notre atteinte, ils se reposent non loin d’ici, peut-être ne sont-ils pas plus qu’à cinquante milles de nous.

— Cinquante milles ? ça fait bien cent kilomètres, et vous n’êtes pas un orignal, parbleu !

— Courir, ça me connait ; je puis parcourir cette distance dans ma journée et ma nuit, et les rejoindre au point du jour.

— Oui, pour vous faire prendre en joue et me laisser seul dans cette solitude.

— Baron, je n’ai pas de temps à perdre, attendez-moi ici ; force m’est de vous désobéir pour sauver votre vie et la mienne.

— Eh bien ! prenez-en la responsabilité, Comeau ! je vous attendrai ; apportez toujours le vin qui nous reste ?

— Je ne prendrai que de l’eau et une « mâchée » de gomme d’épinette, répondit mon grand-père en mettant son fusil sur son épaule.

— Mais c’est un lion ! même à soixante ans ! marmotta le baron entre ses dents.

— Si je ne suis pas de retour dans deux jours, dit mon grand-père en serrant la main du baron, recommandez votre âme à Dieu et faites une prière pour le repos de la mienne.

— Souffrez au moins que je vous accompagne, Comeau, dit le baron avec un air de découragement en même temps que d’admiration.