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tout à coup deux cris stridents de la sirène vinrent les tirer de leurs rêveries. C’était le salut habituel du capitaine à sa vieille mère chaque fois qu’il passait à L’Islet. De son côté, cette bonne vieille, femme et mère de marins, malgré la certitude de n’être pas vue et encore moins entendue de son fils, sortait à chaque fois de sa demeure, agitait son grand mouchoir ronge et disait de sa voix la plus tendre :

— Que Dieu te garde, mon fils, et bon voyage !

Le capitaine, devinant sans doute le geste de sa vieille mère, se découvrait, faisait un geste d’adieu et ajoutait :

— Merci, la mère ! Que Dieu vous le rende !

Ce bel acte de piété filiale de la part du capitaine faisait le sujet de la conversation ; l’admiration des Américains surtout était à son comble, quand, soudain, sonna l’appel pour le dîner.

— Le dîner est servi ! criait le garçon de table de sa plus belle voix, répétant la même chose en anglais pour le bénéfice des Américains.

Dinner is now being served !

— Le dîner est servi, répétait-il en faisant le tour du bateau, frappant un timbre plus ou moins agréable à entendre.

Les passagers, quittant à regret la vue des rives enchanteresses sur lesquelles leurs yeux étaient rivés depuis le matin, s’acheminèrent lentement vers la spacieuse salle à manger, où les attendaient des tables invitantes, qui leur firent, pour un moment, oublier le beau panorama qui se déroulait devant eux.

Le capitaine fit son entrée en même temps que les passagers. Comme certains Américains ne purent lui taire leur admiration pour l’incident du salut à sa mère, il les remercia bien poliment en anglais, mais ne put retenir ces mots qui lui échappèrent :

— J’crois ben qu’ils n’ont pas d’amour maternel, ces gens-là, pour qu’ils s’étonnent que j’aime ma mère !

Tout le monde était attablé et les sièges tous remplis, excepté le numéro 31 en face du capitaine. Le potage était déjà servi, quand tout à coup sortit de l’un des longs