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Côte pourrait s’abriter dans les maisons d’une seule de ses rues, mais qui, à l’époque dont je vous parle, n’était pas aussi populeuse qu’aujourd’hui, une femme qui s’appelait Josette Sinotte.

C’était dans les environs de Verchères. Vous connaissez tous Verchères, pour avoir lu dans l’histoire du Canada, comment la petite Madeleine de Verchères défendit le fort presque seule contre une bande d’Iroquois qui voulaient s’en emparer.

Or, c’était dans ce beau village qui borde le grand fleuve Saint-Laurent, que demeurait la « grand’noire » au Diable, sorcière terrible dont le nom véritable était Josette Sinotte. Son père, son grand-père, son arrière-grand-père et tous ses aïeux paternels étaient des meuniers. Les cultivateurs venaient de vingt milles à la ronde faire moudre leur grain chez les Sinotte.

De père en fils, ces meuniers malhonnêtes volaient les pauvres habitants qui étaient forcés d’aller à leur moulin à cause de la peur qu’ils inspiraient, ayant la réputation de jeter des sorts à tous ceux qui ne les favorisaient pas de leur clientèle.

Cette génération de « jeteux de sorts » avait fini par engendrer une vraie sorcière, dans la personne de la grand’noire au Diable, fille du dernier des Sinotte.

Toute cette génération malhonnête avait, depuis belle lurette, cessé toute pratique religieuse. C’est vous dire que la grand’noire n’avait pas été baptisée et qu’elle était par conséquent demeurée entre les griffes de Satan, dont elle était l’image vivante, et qui, lui, s’en servait pour terroriser les braves habitants et les punir de leur fidélité à l’Église catholique.

Pour dire le vrai, elle ressemblait beaucoup à son maître. D’une grandeur démesurée, elle marchait comme si elle eût été montée sur des échasses ; ses pieds étaient si gros qu’elle était obligée de porter des souliers d’homme ; encore fallait-il lui en faire sur commande le plus souvent. Elle en usait plusieurs paires par année, car elle marchait continuellement pour tourmenter les habitants ; mais elle