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XIX


Le père Ambroise Comeau, qui conservait toujours sa réputation de conteur émérite, était arrivé à la Rivière-au-Tonnerre un peu en retard dans sa tournée annuelle sur la Côte. Ce n’est que le 15 janvier qu’il alla frapper à la porte du presbytère pour demander au curé la permission de donner ses veillées de contes.

— Tu es en retard, cette année, Ambroise ? fut la bienvenue que lui adressa le curé.

— Pas de ma faute, dit Ambroise s’appuyant sur sa canne. Les gens de Havre-Saint-Pierre n’ont pas voulu me laisser partir avant le Jour de l’An, car il y avait une petite fête de famille « chu » Thaddée Bouchard. Son père et sa mère célébraient leurs noces d’or, et il a bien fallu que je reste pour les enfants qui voulaient entendre mes contes.

— Nous t’avons cru parti pour l’autre monde, Ambroise.

— Ça pourrait bien arriver avant longtemps ; mais en attendant je continue mon métier. J’ai été retardé aussi par manque de cométique. Quand on ne paye pas on n’est pas bien pressé de vous « amener », sans compter qu’il y a l’aveugle Chatigny qui donne des concerts de chants, comme moi je conte des contes, et, avec la concurrence, il faut faire attention à nos clients.

— Ne crains rien, Ambroise, dit le curé en riant. Il y a de la place sur la Côte pour tous les talents. La seule chose à laquelle nous nous objections, ce sont les marsouins ; et s’ils réapparaissent ils n’ont qu’à se bien tenir, le capitaine Vigneault en aura soin. Où t’en vas-tu là, Ambroise ?

— « J’croa bien que j’va aller chu » Pierre Guillou ; c’est toujours par là que je commence.

— Eh bien, bonne chance, Ambroise.

Le père Ambroise Comeau alla donc frapper à la porte de Pierre Guillou.

— Entrez, le toit ne vous tombera pas sur la tête, entendit-il de l’intérieur.