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éteinte, saint Grégoire Thaumaturge fit la visite de sa province, et ordonna partout qu’on célébrât des jours de fête en l’honneur de ceux qui avaient combattu pour la foi. Au reste, lorsque la paix eut été rendue à l’Église, les évêques ne furent pas moins soigneux d’empêcher que nul ne fût mis au nombre des martyrs, sans connaissance de cause ; on en fit un canon au premier concile de Carthage, tenu sous l’évêque Gratus, du temps du pape Jules. Nous en avons, parmi les lettres de saint Grégoire[1], une de ce grand pape à saint Augustin, évêque d’Angleterre, par laquelle il lui enjoint expressément de ne point exposer à la vénération du peuple le corps d’un homme qu’on croyait avoir souffert pour la foi, à moins que cette opinion ne fût confirmée par des miracles, et qu’on n’eût des preuves certaines et indubitables de son martyre. Et saint Martin, ayant pour suspect un certain martyr dont le nom et le temps de la mort étaient inconnus aux sacristains d’une Église de Touraine, eut recours à l’oraison pour s’éclaircir de la vérité, et Dieu lui fit connaître que son soupçon était bien fondé, et que ce prétendu bienheureux n’était qu’un martyr supposé[2]. On peut voir ce que le père Mabillon a écrit sur le sujet de la canonisation des Saints, dans la préface du cinquième siècle bénédictin[3].

On pourrait ajouter ici beaucoup d’autres choses touchant le culte des saints martyrs, leur invocation et les fêtes instituées en leur honneur ; mais comme il y a des ouvrages particuliers où toutes ces matières sont traitées à fond, nous finirons par un passage de saint Augustin, qui nous servira à exprimer quels sont sur cette matière les sentiments de l’Église, et quels sont les dogmes qu’elle enseigne. Ce saint docteur, écrivant contre Fauste qui accusait les catholiques d’avoir substitué les martyrs à la place des idoles, répond à cet hérétique en ces termes[4] : « Si les chrétiens honorent les saints martyrs, c’est, ou par le désir de participer à leurs mérites, ou dans l’espérance d’être secourus de leurs prières, ou pour s’exciter à imiter leurs vertus ; en sorte toutefois que les autels que la piété des fidèles élève sur leurs tombeaux, ne sont érigés à aucun martyr, mais au Dieu des martyrs. Car, qui est celui d’entre les prêtres du Seigneur, qui, prêt d’offrir le sacrifice sur un de ces autels, a jamais dit : C’est à vous, Pierre ; c’est à vous, Paul ; c’est à vous, Cyprien, que nous offrons ? Ce qu’on offre, c’est à Dieu qu’on l’offre, à ce Dieu qui a couronné les martyrs, mais souvent, à la vérité, dans les lieux où il les a couronnés, afin que la vue de ces lieux sacrés excite dans nos cœurs une charité plus ardente, un amour plus vif, et envers ceux que nous devons imiter, et envers celui par qui nous le pouvons. Nous révérons donc les martyrs de ce culte de société, d’estime, de dilection, dont nous honorons sur la terre les gens de bien, ces hommes de Dieu, ces hommes selon son cœur… Pour cet autre culte qu’on nomme le culte de lâtrie, nous croyons et nous enseignons qu’il n’y a que Dieu qui puisse en être l’objet ; et comme le sacrifice n’appartient qu’à ce culte, de sorte qu’on appelle idolatrie celui qui est offert aux idoles, nous ne l’offrons ni aux martyrs, ni aux autres saints, ni aux anges. Et si quelqu’un des nôtres venait de tomber dans une pareille erreur, on lui opposerait aussitôt la saine doctrine, afin qu’il pût revenir à lui, ou qu’on fût en droit de le fuir. » Le même Saint, quelques lignes après, à l’occasion de certains chrétiens qui s’enivraient sur les tombeaux des martyrs, dit ces paroles : « Il y a des vérités que nous enseignons, et il y a des abus que nous tolérons : nous sommes obligés de proposer les unes comme des préceptes auxquels on doit obéir, et de corriger les autres comme des transgressions qu’on doit éviter ; mais jusqu’à ce que nous puissions y remédier efficacement, nous sommes contraints de les souffrir avec patience. »

Agréez, Seigneur, que tout ce que nous avons écrit ici des saints martyrs soit consacré à la gloire de votre divine majesté et à l’édification de votre Église, et que celui de qui votre providence a bien voulu se servir pour exposer aux yeux des fidèles les combats et les victoires de vos généreux athlètes puisse obtenir, par leur intercession, la grâce d’être éclairé des lumières de leur foi et de brûler du feu de leur charité.


FIN.
  1. Lib. 12, ep. 31.
  2. Sever. Sulp.
  3. Voyez aussi ses Lettres sur le culte des Saints inconnus ; dans le tom. I p. 209 et sqq. Op. posth. DD. Joannis Mabillonii et Theodorici Ruinart. Parisiis 1724, in 4.
  4. Lib. 20, c. 21.