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3. honneurs rendus aux martyrs.

Mais avant de finir cette dissertation, nous croyons devoir dire quelque chose des honneurs que l’Église rendait aux martyrs. De leur vivant même ils jouissaient de plusieurs prérogatives. On rendait, à leur prière, la communion à ceux qui étaient tombés durant les persécutions. On nommait des diacres pour avoir un soin particulier d’eux et pour leur fournir les choses nécessaires à leur entretien. Si quelquefois les autres fidèles pouvaient obtenir la permission d’entrer dans les prisons, c’était à qui baiserait leurs chaînes[1]. Chacun s’empressait à leur procurer quelque soulagement, à panser leurs plaies, à leur rendre de petits services, à leur donner des marques de vénération et de respect. Mais après que leur martyre était consommé, ce respect et cette vénération s’augmentaient de beaucoup, et on les regardait pour lors comme étant assis avec Jésus-Christ, pour juger tous les hommes[2]. C’est ce qui leur attira le culte et la dévotion des peuples. Cette dévotion passa jusqu’à leurs reliques ; on les enferma dans de riches chasses ; on les coucha sur l’or et sur la soie, et parmi les parfums les plus exquis. On fit plus ; on érigea des autels sur leurs tombeaux, et les conciles d’Afrique défendirent qu’on en dressât aucun, sans y mettre des reliques de martyrs[3]. On commença à lire leurs actes dans les assemblées de l’Église ; l’on récita leurs noms dans la célébration des saints mystères ; mais on ne priait pas pour eux comme pour les autres fidèles dont on faisait aussi mémoire, parce que, dit saint Augustin[4], c’eût été faire injure à un martyr que de prier pour lui dans le moment qu’on était obligé d’avoir recours à ses prières. Tout cela s’observa dès les premiers siècles de l’Église : « et l’on sait que les disciples de saint Ignace reportèrent dans une châsse à Antioche les reliques de leur maître, comme un trésor inestimable, et que les chrétiens de Smyrne recueillirent celles de saint Polycarpe, avec autant de soin qu’on ramasserait de l’or et des perles[5].


4. distinction des véritables martyrs d’avec les faux.

Ces honneurs extraordinaires rendus aux martyrs servaient à distinguer les véritables d’avec ceux qui ne l’étaient pas, et empêchaient qu’on ne s’y méprît. Les vrais martyrs eux-mêmes n’avaient rien tant à cœur, en allant à la mort, que de n’être pas confondus avec les faux, ainsi qu’on peut le voir par la remarque que fait Eusèbe, après Clément d’Alexandrie : « Toutes les fois, dit cet historien[6], que les fidèles, je dis ceux qui sont dans l’Église catholique, sont cités devant les juges pour confesser la foi de Jésus-Christ, si le hasard veut qu’ils se rencontrent avec des hérétiques qui se donnent aussi, quoiqu’à tort, le nom de confesseurs, ces fidèles ont un grand soin d’éviter toute communication avec eux : ils s’en séparent ouvertement, et vont ainsi au martyre sans vouloir se mêler avec ceux que l’Église ne reconnaît pas pour ses enfants. Et il ajoute ensuite : nous l’avons vu pratiquer de la sorte à Apamée, sur le Méandre, par les saints martyrs Caïus et Alexandre. » C’est dans ce même esprit qu’agissait le concile de Laodicée[7], lorsqu’il défendit par un de ses canons d’aller prier dans les cimetières des hérétiques, et que par un autre il frappait d’anathème ceux qui imploreraient le secours de leurs martyrs. Il n’était pas même permis d’en honorer aucun, quoique mort pour la foi, avant que l’Église en eût autorisé le culte ; et le schisme des donatistes ne doit sa naissance qu’au chagrin d’une dévote entêtée[8], qui, ayant été reprise de ce qu’elle honorait comme martyr un homme que l’Église n’avait pas encore reconnu pour tel, quoiqu’en effet il eût répandu son sang pour la bonne cause, se sépara de la communion des catholiques, fort irritée de la défense qui lui avait été faite. Mensurius, prédécesseur de Cécilien dans le siége de Carthage, en avait fait une semblable à l’égard de ceux qui allaient s’offrir d’eux-mêmes au martyre[9]. Le concile d’Elvire défendit pareillement qu’on rendit aucun honneur à ceux qui, par un zèle indiscret, se feraient tuer en brisant les idoles[10]. On peut encore appliquer à cela ce que saint Cyprien écrit[11], dans une de ses épîtres : « nous tenons un registre où nous écrivons exactement les noms des confesseurs et le jour qu’ils sont morts, afin que nous puissions rendre à leur mémoire l’honneur qui est dû à celle des martyrs. » Et enfin, comme on a ci-devant remarqué, après que la persécution de Dèce fut

  1. Apud S. Cypr.
  2. SS. Clem. et Dionys. Alexandr.
  3. Can. 85 Cod. Afric.
  4. Serm. 159.
  5. Acta SS. Ignatii et Policarpi.
  6. Lib. 5, hist. c. 17.
  7. Can. 9 et 34.
  8. Nommée Lucille.
  9. Optat. l. 1. Aug. Brevit. coll. die, 3, c. 15.
  10. Can. 6.
  11. Epist. 12.